olivier1973
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13 Jan 2009, 09:32 |
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Article paru dans Le Monde, le 12 janvier 2009
[size=18]La colère de John, pompier à Ground Zero, atteint d'un cancer
BLUE POINT (NEW YORK) ENVOYÉ SPÉCIAL
John McNamara, 43 ans, profère d'une voix terne des propos glaçants : "Une semaine après le 11-Septembre, l'Agence de protection de l'environnement a déclaré que l'air, à Ground Zero (site des attentats à New York), était redevenu totalement pur. Or le nuage de poussières y était encore infernal. Ces salopards ne pensaient qu'à rouvrir Wall Street au plus vite."
John est pompier de métier. Le 11 septembre 2001, il est arrivé sur les lieux trois heures après les attentats commis par Al-Qaida. Durant deux mois, il y a travaillé quotidiennement, dans une poussière invraisemblable, à déblayer, à rechercher des corps. Puis, à nouveau, en mars et avril 2002. Ses premières douleurs sont apparues en juin 2006. Le petit Jack avait 3 semaines. Depuis, une tumeur a succédé à l'autre. En août 2008, il a subi sa cinquième opération. Il a perdu 90 % de son intestin, une grande partie de son foie, son colon. Incontinent, il se déplace avec une poche. Des métastases sont apparues aux poumons. Il est toujours "en chimio". Des indemnités ? "Personne ne veut payer."
Sa situation est-elle due au temps passé à Ground Zero ? John et Jennifer en sont convaincus. La proportion de cancers constatée parmi les pompiers qui y ont travaillé, comme d'autres affections graves, souvent respiratoires, semble très supérieure à la moyenne américaine et à celle des autres pompiers.
Les tours jumelles du World Trade Center avaient des bureaux bourrés d'ordinateurs, qui incluent de multiples composants polluants. Et elles avaient été érigées à une époque peu regardante sur les matériaux. Leur effondrement, a déclaré Thomas Cahill, professeur émérite de physique et de sciences atmosphériques, a transformé Ground Zero en "un incinérateur à ciel ouvert durant des mois". Les sauveteurs ont été envoyés sans aucune protection au milieu de milliers de tonnes de dioxine, de mercure, de benzène, de plomb, de cadmium, d'ammoniaque, d'acides insolubles, de fibres de verre, de particules métalliques à haute température...
John n'est pas seul. Mais combien y a-t-il de Bernie Cornell, Belinda Shaw, Cesar Borja, Charlie Giles, Bonnie Giebfried, Ralph Geidel, Jack Saltarella, Mike McCormack, Mary Bishop ? Tous ces pompiers, sauveteurs et déblayeurs qui se sont activés des mois durant dans la "pile infernale" et souffrent aujourd'hui d'affections diverses : cancers de la peau, de l'oesophage ou du sang, troubles respiratoires graves. Environ 40 000 personnes ont travaillé dans la "pile". Mais pour eux, aucune prophylaxie systématique n'a été instaurée. Aucun organisme ne rassemble les données disponibles.
Au ministère de la santé de l'Etat de New York, Kitty Gelberg, qui étudie les décès consécutifs à l'effondrement des tours, admet ne pas disposer, plus de sept ans après, de données publiables : "Lier avec certitude ces morts au 11-Septembre n'est pas évident." Ce genre de propos fait sortir John de ses gonds : "Demandez à mon médecin traitant. J'étais un taureau. Il dit qu'une succession de cancers de ce type à mon âge ne peut s'expliquer autrement." La moindre des choses, a estimé Gregory Fried, ancien médecin chef des pompiers, serait que les victimes "bénéficient du doute", au lieu que celui-ci ne serve à leur refuser toute compensation.
Plusieurs cabinets ont attaqué les constructeurs, la mairie et l'Agence de protection de l'environnement. Déposée en 2002 par l'avocat David Worby, une plainte en nom collectif à laquelle se sont jointes 10 000 personnes, pompiers inclus, n'a toujours pas abouti à un procès. Bardés d'avis médicaux contraires, pouvoirs publics et assurances contestent les arguments tendant à établir un lien entre les maladies ou les décès des personnes et leur présence durable sur Ground Zero. "Les assurances attendent qu'on crève pour n'avoir rien à payer", dit John. Et encore, "mon mari est bien couvert, ajoute son épouse. On s'en sort mieux que ces volontaires sans assurance-maladie qui se sont retrouvés avec des montagnes de frais médicaux ; ceux qui se sont tant endettés qu'ils ont perdu leur appartement."
Lui montre quelques photos "d'avant". Il a perdu 15 kilos. "Parfois, je n'ai pas la force de porter mon gosse. Je ne sais même pas si je le verrai grandir. Quel genre de vie est-ce ?" Son humeur balance entre espoir et découragement. Peu après, il a cette phrase : "Il me reste un testicule, le médecin dit que je pourrai peut-être encore engendrer. Je voudrai tellement avoir aussi une fille." Les yeux de Jennifer s'embuent, entre colère et admiration pour la capacité de son mari à entretenir encore ces chimères.
Si, après le désastre irakien, les vétérans américains font parfois figure de héros ambigus, les pompiers, eux, restent des héros absolus. Pourtant, leurs malheurs ne rencontrent depuis sept ans que l'indifférence des autorités. Jennifer n'a qu'un souhait : que quelqu'un "reconnaisse sa responsabilité, dise : "Après le 11-Septembre, nous avons envoyé des milliers de gens sans protection dans un enfer. Nous nous excusons." Mais ça n'arrivera pas." John rumine une autre rancoeur. "Après l'attentat, se souvient-il, Bush nous a déclaré : "On va s'occuper de vous." Quelle vergogne !"
CHIFFRES
342 pompiers figurent parmi les 2 973 personnes tuées dans l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center, le 11 septembre 2001 à New York. Depuis, 87 sont morts d'un cancer - un taux deux fois supérieur à la moyenne. Aucune statistique ne décompte le nombre de personnes traitées.
713 personnes ayant participé aux travaux de déblaiement sont décédées, selon une étude du département de la santé de l'Etat de New York. Pour 30,2 %, la cause est "l'exposition à des substances nuisibles ou leur ingestion".
Sur 395 autopsies, 216 indiquent comme cause du décès des tumeurs dans la bouche et la gorge, de la thyroïde, du système digestif, des poumons, etc.
Près de 30 % des 32 000 personnes traitées - habitants autour de Ground Zero, pompiers et sauveteurs - souffrent de difficultés respiratoires, selon l'Institut national américain de la santé.
Près de 75 % des 1 138 personnes traitées en 2004 à l'hôpital Mount Sinai souffraient d'asthme aggravé, de reflux gastrique, de sinusite chronique et d'irritation chronique de la gorge.
Sylvain Cypel |
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